La catastrophe de Vieux-Port.

11 août 1880, 6 h 30 du matin.
Un énorme bruit réveille le village de Ports, mais aussi les habitants de Noyers de l’autre côté de la Vienne et s’entend jusqu’à une dizaine de kilomètres.
Le coteau vient de s’effondrer à Vieux-Port sur les fours à chaux situés à l’entrée du village.

Panneau d'interprétation sur le chemin piétonnier du bord de Vienne

Les fours à chaux.[1]
C’est à Ports-sur-Vienne au XVIIIe siècle au lieu-dit les Tuileries que furent construits les premiers fours dans la vallée de la Vienne.
Les fours à tuiles, à briques et à chaux furent les premières usines qui apportèrent dans la région des possibilités de travail autres que la terre et les métiers attenants.
En 1864 furent construits un, puis trois fours à chaux au Vieux-Port.
Sur deux parcelles de terrain à Vieux-Port[2], M. Emmanuel Gris, industriel nantais, construisit à partir de 1871 une grande fabrique contenant sept fours à chaux à feu continu et flamme courte avec un magasin et une maison d’habitation.
En 1880, il y avait six galeries d’extraction pénétrant à 100 m sous le coteau. De part et d’autre des ouvertures, il y avait des broyeurs, une bluterie, des magasins, une écurie, le tout sur 80 m de façade et 8 à 10 m de hauteur.
On avait aménagé, derrière ces bâtiments, une terrasse où avaient été installés les fours, revêtus d’une chemise en brique. Une machine à vapeur assez forte faisait fonctionner un monte-charge pour les pierres à chaux et à charbon, une pompe élevant l’eau nécessaire pour éteindre la chaux, et des meules et des broyeurs. 
L’établissement produisait par an 200 000 sacs de chaux hydraulique.
Ils étaient transportés par une noria de bateaux remontant la Vienne jusqu’à la gare de Port-de-Piles. Partaient alors tous les jours dans diverses directions, six à sept wagons de chaux.

[1] Sources : Journal l’Union Libérale 21 août 1880, Wikipedia.
[2]  Arch
ives départementales matrices cadastrales 3PS/1912. A68 de 1395 m² de pâture en 1865 et A70 1440 m² de taillis en 1869.

Le Monde Illustré du 28 août 1880
L'Illustration du 21 août 1880.

L’éboulement.[1]
Le 11 août 1880, à 5 h du matin, les ouvriers de l’usine reprenaient tranquillement leur pénible travail. Ils travaillaient depuis 1 h 30 environ, lorsque le directeur de l’établissement, monsieur Charles Tissier, informé que le coteau poussait les murs et mettait la vie de son personnel en danger, courut avertir le contremaître, monsieur Lagerbe pour se concerter avec lui et faire évacuer l’établissement, puis il revenait en toute hâte pour soustraire sa famille au risque qui la menaçait.
Les ordres donnés en quelques minutes avaient déjà reçu un commencement d’exécution, lorsque soudain, un horrible craquement se fait entendre et le coteau se trouve enveloppé par un immense nuage de poussière, mêlée de fumée. Au bout de quelques minutes, le nuage se dissipe et apparaît alors un spectacle épouvantable. La colline s’est écroulée sur une longueur de plus de 100 m. Maison d’habitation, magasins, fours, tout a été écrasé sous une couche énorme de rochers et de terre qui a glissé du haut[2]. Les décombres encombrent entièrement la route et ont roulé jusqu’à la rivière. Des blocs de roches, d’un volume considérable, dominent le chaos à travers lequel on voit des pièces de charpente de la maison disparue. Au-dessus de tout cela, deux ou trois fourneaux dont les cheminées n’ont pas été complètement envahies par les terres lancent encore des flots de fumée.
Au même instant, un immense cri de désespoir poussé par les victimes vint frapper l’écho de Noyers, puis tout rentra dans le silence, dira l’abbé Mazin, curé de Ports.
L’éboulement avait entièrement recouvert la maison d’habitation, le magasin et les ateliers. Il y avait au moment de la catastrophe plus de 30 personnes dans les bâtiments industriels et dans la maison Madame Tissier, quatre de ses enfants, ainsi qu’une jeune servante. Tous ces malheureux étaient sous les décombres

[1] Les détails sont tirés des journaux de l’époque, notamment du journal d’Indre-et-Loire et de l’Union Libérale et du récit de l’abbé Mazin, curé de Ports en 1880.
[2] Le haut de la colline est à 98 m d’altitude et la route à 52 m.

L'illustration 21 août 1880
Le Monde Illustré 28 août 1880.

Compte rendu de la catastrophe de Vieux-Port en 1880.
Tous les journaux régionaux et nationaux rendirent compte de la catastrophe de Vieux-Port qui créa un très grand émoi non seulement dans la vallée de la Vienne, mais même nationalement.
On trouvera ci-joint un compte rendu détaillé de la catastrophe de Vieux-Port, établi à partir des journaux de l’époque, notamment du journal d’Indre-et-Loire et de l’Union Libérale, mais aussi du compte rendu qu’en fit l’abbé Mazin, curé de Ports en 1880. (cliquez sur ces boutons ou sur ceux de l’entête)

Journal le Monde illustré du 28 août 1880

Les secours.
La nouvelle de la catastrophe de Vieux-Port se répandit vite dans le bourg de Ports par un pêcheur du bec des deux eaux, Monsieur Nadreau, qui naviguait sur la Vienne. Des ouvriers mineurs occupés à extraire la pierre coururent télégraphier pour demander du secours.
Les habitants du Vieux-Port et de Ports, vite arrivés sur les lieux avec leur maire, monsieur Rancher, commencèrent à déblayer le terrain avec des moyens de fortune. Des secours furent demandés à la hâte dans toutes les communes voisines. Une foule d’habitants de Nouâtre, de Noyers, de Marcilly, de Port-de-Piles et d’autres communes voisines accoururent sur les lieux et prêtèrent leurs mains.
Puis arriva de toute part d’autres secours : des employés et la pompe de la gare des Ormes, des agents du service de la voie à Port-de-Piles, les pompiers de Sainte-Maure sous la conduite de leur chef Marquet, une compagnie du 32e de ligne en garnison à Châtellerault, conduite par le lieutenant Garnache, les brigades de gendarmerie de l’Ile-Bouchard et de Sainte-Maure et une foule d’ouvriers venant d’Abilly, de la Haye, de Paviers, en tout plus de 150 travailleurs.
Plusieurs médecins vinrent secourir les blessés : les docteurs Patry, Brigault, Serreau, Gaillard.
Les autorités arrivèrent également sur les lieux : le procureur de la République de Chinon, M. Comte, le sous-préfet de Chinon, M. Martinet, le juge d’instruction, M. Caille et le juge de paix de Sainte-Maure, M Mahoudeau. Dans l’après-midi arrivèrent M. Durieu, secrétaire général de la préfecture, l’ingénieur en chef des mines et plusieurs ingénieurs du train.
Les prêtres des communes environnantes étaient bien sûr présents : L’abbé Mazin de Ports, l’abbé Cochet de Nouâtre, l’abbé Billard de Sainte-Maure, l’abbé Bosseboeuf de Marigny, l’abbé Courtault de Marcilly, les curés des Ormes et de Maillé.
Monsieur Emmanuel Gris, le propriétaire des lieux n’arriva que le lendemain

Les conséquences financières
On imagine mal aujourd’hui les conséquences financières que provoquaient de tels drames. Les journaux y accordèrent d’ailleurs une large part. Dans de tels cas, les sinistrés et les familles se trouvaient sans aucune ressource ni indemnité, sauf faute de l’employeur.
La première loi sur la protection des accidentés du travail ne sera votée que le 8 avril 1898.[1]
La famille Tissier avait perdu cinq de ses membres et 2 enfants avaient été blessés. Il restait encore à M.Tissier 3 enfants : Georges, 24 ans qui, voyageur de commerce, était à Paris* à cette date, Emile 21 ans (nous ignorons où il était au moment de l’accident) et Georgina, 9 ans qui était en pension chez les sœurs à Chezelles[2]. M. Tissier possédait quelque argent, gardé chez lui selon les coutumes de l’époque, tout avait disparu dans l’éboulement. De même les économies d’Églantine qui s’élevaient à près de 1500 francs gardés dans une armoire.
Le Gouvernement accorda, dès le 13 août, un secours de 3000 francs pour parer aux besoins les plus urgents et le conseil départemental de 1000 francs. Une souscription publique fut aussi ouverte par la préfecture, elle recueillit plus de 45 000 francs[3]. Les journaux organisèrent des souscriptions, celle du journal « L’Indre-et-Loire » recueillit plus de 4200 francs.[4] L’émoi fut national et un concert fut même organisé le 5 septembre au Pré Catelan à Paris au profit des victimes de la catastrophe de Vieux-Port.
[1] Loi assurant la protection contre les accidents du travail des salariés de l’industrie : le salarié bénéficie d’une protection générale, son dommage est réparé soit directement par l’employeur soit par des caisses permettant la mutualisation des coûts entre les employeurs. Site securite-sociale.fr
[2] Informations données par Madame Mauricette Repentin, arrière-petite-fille de M. Charles Tissier.
[3] L’union libérale du 12 novembre 1880.
[4] Pour avoir une idée de la valeur de ces sommes, le Journal d’Indre-et-Loire coûtait 15 c l’exemplaire à cette époque.

On voit sur cette carte postale, qui doit dater du début du 19e siècle, la colline complétement effondrée sur la gauche, lieu du sinistre. La 1er maison sur la G existe encore, c’est le n°4 rue du coteau La 2e a été détruite, par contre la dernière avec une petite fenêtre sur le pignon est toujours debout. Ne serait-ce pas un reste des anciennes installations ?

Les causes de l’accident.
Une enquête fut diligentée par les autorités, mais nous n’en avons pas retrouvé les conclusions.
Les journaux donnèrent plusieurs explications, certaines engageaient la responsabilité de monsieur Gris, le propriétaire, d’autres attribuaient l’éboulement à des faits imprévisibles.
On lira dans le compte rendu détaillé le point de vue des journalistes et celui développé par des revues spécialisées qui semblaient mettre en cause les piliers de soutènement.
Ignorant les conclusions de l’enquête officielle, nous ne savons pas si la responsabilité de M. Gris, le propriétaire, a été engagée.
A notre connaissance, il n’existe pas de photos de cet événement. Il y eut seulement des dessins dans trois journaux : L’Illustration, Le Monde Illustré et l’Univers illustré. Il faut être prudent sur leur interprétation, puisqu’on voit de nombreuses différences sur les dessins d’un même site, suivant les auteurs.

« La Voix de Ports »  a édité un numéro « spécial Patrimoine et citoyenneté » en août 2016 sur cet événement. (numéro 23 bis 17-18 sept).

Cette carte date d’après 1910 selon la configuration des bâtiments de l’abbaye de Noyers, rive droite. L’éboulement est toujours visible.

L’exploitation a repris.
En 1881 furent construits 4 fours à chaux à feu continu à Marcilly avec un hangar de stockage et 400 m de voie Decauville pour le transport de la pierre. La gestion de cette usine était conduite par Monsieur Pellé J-B et ses associés messieurs Champigny, Gautron, Tissier puis Pagé en 1885. Après Émile Fouquet en 1889, c’est Jean Baptiste Pellé-Millet qui reprend l’affaire. En 1907, Fernand Vincent hérite de l’entreprise. Il la modernise avec la construction d’un bâtiment pour abriter un moteur vertical et la voie

s’allonge à 720 m. Tous les anciens se souviennent du petit train de wagonnets tiré par un cheval jusqu’en 1949 puis par un petit locotracteur. Ce mini train transportait la pierre qui fut d’abord extraite à ciel ouvert au Vieux-Port puis dans le coteau où des galeries de 4 km furent creusées et même jusque sous « Les Ourillaux ». En 1937, Maurice Vincent succède à son père et met deux fours en service, il passe à quatre en 1945. En 1962, à la suite d’une erreur de fabrication de la chaux, l’usine est obligée de fermer

Source : Wikipédia.

Le site aujourd"hui. (Photo Popculture)
Sur cette photo aérienne de 1950 (site Géoportail) le terrain semble encore marqué
Aujourd’hui, le coteau ne laisse rien voir de son éboulement Photo Georgle earth 1091m 31/03/2002
Photo fonds privé Jack Chazal (Nouâtre)

Cette photo a été publiée dans le bulletin de 1967 des Amis du Vieux Chinon (Tome VII n° 1) avec ce commentaire : l’un des derniers chalands de la Loire, venant de Nantes, ancré vers 1900 au Vieux-Port. Les mariniers le délestent de sa cargaison de charbon destiné aux fours à chaux. Ces transports s’effectuaient en hautes eaux, en hiver. Ils ont cessé le jour où le dernier chaland s’est ensablé pendant 6 mois dans la région de Crouzilles.

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